Jean Couranjou |
Les carreaux de faïence de la Régence turque d’Alger |
Travaux de l'auteur depuis 1965
recherches et diffusion des résultats
En ce qui concerne la superbe décoration des demeures, au moins à Alger, seuls les bois (portes, plafonds, balustrades tournées) ont été confectionnés sur place par une corporation dirigée par un Turc d’origine. Il en est probablement de même des stucs réalisés par des artisans locaux ou des artistes marocains ou tunisiens. Mais, encadrements de pierre des portes, sols de marbres, bassins, fontaines et autres pédiluves, multiples colonnes monolithiques simples, doubles ou quadruples, étaient confectionnées en Italie. De même l’abondante faïence de revêtement observée dans la Régence, hormis peut-être celle constituant les pavements monochromes des demeures de Tlemcen, était entièrement importée de divers pays.
Des études sérieuses sur cette céramique (origines, datations, copies…) n’avaient jamais été abordées ce qui explique les erreurs commises depuis au moins le début du 20e siècle et à ce jour toujours tenaces ; elles affectent particulièrement certaines de ses origines, surtout et systématiquement les hispaniques1 : une étude bibliographique, probablement non exhaustive, relative à cette erreur répétée, a été faite, analysant l’historique de ces erreurs et suivie de la présentation des modèles catalans et valenciens objets de cette confusion (Couranjou, 2001)1 . On les retrouve dans l’ouvrage de Broussaud (1930), répertoire intéressant bien que limité sur les carreaux d’Algérie, dans l’agenda perpétuel de Baconnier (1962) et les petits livres de Aïssaoui (2003 et 2007). Très généralement elles apparaissent dans tous les écrits où cette faïence est citée. J’ai pu constater ces erreurs d’attribution dès le début de mes recherches. Depuis et en permanence, je me suis donc attaché, essentiellement par une recherche dans les pays susceptibles d’avoir fourni la Régence d’Alger, à rétablir la vérité ce qui n’est pas toujours facile, nombre de modèles ayant été copiés d’un pays sur l’autre.
Ce fut le début de mon travail qui ainsi comporte à la base deux axes principaux : d’une part le relevé des modèles existant en Algérie, d’autre part la connaissance de ceux confectionnés dans les pays ayant, à la même époque, produit de la faïence de revêtement Une fois ainsi établie l’origine d’un grand nombre de modèles répertoriés en Algérie, des recherches approfondies ont suivi, notamment : relevé des différentes variantes, parenté entre motifs, « généalogie » de certains modèles constituant une lignée dans le temps, copies de modèles entre régions et pays... Tout ce travail se poursuit encore. Mais celui ayant abouti à la réalisation du Traité des Assemblages (chap. Ouvertures, symétries, assemblages) est achevé. Très général, il constitue une entité dépassant largement le cadre des carreaux importés dans la Régence.
Relevé des modèles importés. Ce sont bien sûr les demeures de classe d’Alger qui ont fourni le gros du contingent en matière de modèles relevés en Algérie. Il s’agit essentiellement des divers palais de la basse Casbah et de ceux qui à l’époque se trouvaient à la campagne, tous construits tout à fait à la fin du 18e siècle. S’ils renferment surtout les faïences de leur époque, on y trouve aussi de bien plus anciennes ; en effet de tout temps, le revêtement céramique de demeures effondrées a été réutilisé. On a vu (chap. Contextes historique et architectural) que la disparition de monuments résultait de la médiocrité du matériau de construction et parfois de sévères tremblements de terre, en particulier en 1717 et en 1755. En fait, pour Alger, le relevé des modèles a fait appel aussi à des monuments plus anciens : Dār ‘Aziza, dernier vestige de la Janīna datant des 16e et 17e siècle, la Mosquée Kajāwa remontant, à l’origine, au moins au 17e siècle, la Mosquée Sidi ‘Abd al-Rahmān à l’époque hors les murs, et dont la construction à partir de l’ancienne qubba de 1611 s’est faite entre 1696 et 1730, Janān Yahya Aġa à Hydra, datant de 1779. Mais naturellement toute faïence d’un monument orné aussi quelconque soit-il et même un carreau isolé constituent des documents à ne pas négliger. Pour ces relevés, ont été utilisés aussi des monuments d’époque française revêtus de carreaux anciens ; c’est le cas notamment de celui dit Tombeau de la Reine à Alger.
Pour Constantine, c’est principalement le Palais de Hājj’ Ahmad bey qui a apporté sa contribution. Bien que très tardif puisque sa construction (1826-1835) se poursuivit encore après la Conquête, il comporte nombre de modèles anciens. C’est que, pour laisser place à l’édification du palais, le bey fit raser les demeures du lieu et s’en appropria les éléments architecturaux, en particulier les carreaux.
Connaissance des modèles étrangers. A partir de 1965 donc, et pendant un certain nombre d’années, j’ai étudié dans les pays susceptibles d’avoir fourni la Régence d’Alger (Pays-Bas, Espagne, Portugal, Maroc, Tunisie, Italie) les modèles qui y ont été confectionnés. Parallèlement j’ai commencé à constituer une indispensable collection qui continue de s’augmenter ; son observation méticuleuse devait progressivement m’amener à des découvertes, principalement pour la faïence hispanique, qui n’avaient pas été faites par les chercheurs de ces pays. Celles d’entre elles qui à la fois touchent la faïence existant en Algérie et que j’ai publiées (voir Bibliographie) sont indiquées dans les chapitres qui suivent.
Plus tard, j’entrais en relation avec des chercheurs de Barcelone (Associació catalana de ceràmica i terrissa) surtout, des Pays-Bas… et même d’Uruguay, pays qui, à l’instar de l’Algérie, fut également importateur en son temps. Les relations soutenues et cordiales depuis de longues années avec les chercheurs de Barcelone (on verra l’importance de cette céramique en Algérie) fut fructueuse dans les deux sens. En ce qui me concerne, j’apprenais ainsi les datations des modèles, chose à peu près impossible en Algérie où les demeures renferment le plus souvent des modèles d’âges différents par utilisation de carreaux récupérés sur d’anciens monuments (chap. Contextes historique et architectural) et par ajout ou remplacement ultérieur de modèles plus récents. Par la suite, de nouveaux ouvrages édités dans divers pays sur leur propre production, permettaient de préciser ces datations.
Publications, diaporama, site internet, ouvrage
Les relations établies et la prise de conscience, par les chercheurs étrangers, des travaux que j’avais menés en la matière, m’ouvrirent les portes de revues spécialisées d’Espagne et des Pays-Bas qui, dès lors, m’offrirent la possibilité de publier mes découvertes (chap. Bibliographie). Les articles que je fais régulièrement paraître permettent au public intéressé et aux spécialistes de prendre connaissance de quelques-unes d’entre elles. Les unes sont propres aux modèles de divers pays sans nécessaire relation avec ceux importés dans la Régence turque, d’autres concernent plus précisément la faïence importée en Algérie ; celle-ci comprend, outre une majorité de modèles courants, quelques autres spécialement confectionnés pour elle et donc inconnus dans leur pays d’origine.
Les résultats de mes travaux, menés aujourd’hui depuis près de cinquante années ont ainsi abouti à diverses réalisations :
Présentation de l’ouvrage J. Couranjou
Le site présenté ici ne donne qu’une idée succincte de l’immense travail réalisé
sur la faïence de revêtement de la Régence turque d’Alger.
Les résultats des recherches menées durant de longues années dans les différents domaines concernant cette céramique ornementale sont rassemblés dans l’ouvrage présenté ci-dessous.
Jean Couranjou
Les carreaux de faïence
importés pour le revêtement décoratif architectural
de la Régence turque d’Alger
(1518-1830)
précédé de
Traité des assemblages
Ouvrage de 468 pages au format 21 x 29cm, illustré de 97 figures noir et blanc
comprenant un catalogue de 52 planches noir et blanc de 400 des modèles,
ensembles et séries présentés
et 42 planches de nombreux clichés en couleurs .
La Régence turque d’Alger (1518-1830) qui elle-même ne produisait pas de faïence,
importa de divers pays et pendant près de trois siècles,
des quantités prodigieuses de carreaux les plus divers pour la décoration de ses monuments,
particulièrement ceux de sa capitale.
En l’absence d’études en la matière, l’auteur a entrepris depuis 1965 des recherches méthodiques sur cette céramique. Menées dans les différents pays fournisseurs réels ou potentiels de la Régence d’Alger, elles lui ont permis de découvrir très vite les erreurs répétées depuis près d’un siècle et toujours en cours, sur la provenance des faïences importées d’Espagne (les plus abondantes en quantités de carreaux) et de retrouver les origines de très nombreux modèles, séries et ensembles que parallèlement il a minutieusement relevés en Algérie.
Le livre I est consacré au traité des assemblages, sujet qui n’avait jusque là jamais été abordé et qui constitue une étude fondamentale de 80 pages très détaillée et largement illustrée. Ce traité dépassant largement le cadre de la Régence turque d’Alger, concerne toute la céramique de revêtement. Dans le vaste domaine des symétries (simples et combinées) du motif élémentaire et dans celui des assemblages qui en découlent, est présenté un inventaire quasi exhaustif avec sa nomenclature et la mise au point d’une formulation rationnelle adaptée à tous les nombreux cas aussi complexes soient-ils.
Le livre II correspond à l’étude proprement dite des carreaux de la Régence turque d’Alger.
La première partie (prolégomènes) comporte un chapitre réservé au carreau dans la Régence (contexte historique, contexte architectural, revue bibliographique sur les carreaux de la Régence) puis une introduction au répertoire raisonné (notamment histoire de la faïence de revêtement ; exposé des méthodes de travail ; présentation des édifices utilisés ; établissement d’une terminologie minutieuse…).
La deuxième partie du livre II correspond au répertoire raisonné dans lequel sont étudiés tous les carreaux, séries et panneaux relevés dans la Régence. Ceux-ci sont répartis par pays d’origine ; pour chacun de ces pays est tracé un historique de la confection des carreaux. Les modèles ainsi que leurs variantes sont présentés chronologiquement par style et avec toutes leurs caractéristiques (motif, ouvertures, symétrie) y compris formulation, leurs variantes, leur abondance et leur localisation en Algérie. Quand il y a lieu, les degrés de parenté sont établis entre un grand nombre de motifs : la « généalogie » de quelques-uns d’entre eux y est étudiée. Les copies d’un pays à l’autre ont été recensées.
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Quelques-unes des 468 pages de l’ouvrage |
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Quelques-unes des 52 planches (400 modèles) du catalogue du répertoire raisonné. |
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Quelques-unes des 42 planches de l’iconographie couleurs
De par sa nature très scientifique et son volume,
cet ouvrage n’a pu trouver d’accueil auprès des éditions
telles qu’elles sont conçues aujourd’hui en France.
1. Couranjou J., 2001. Provinenses reals de les rajoles de la Regència Turca d’Alger (1518-1830) considerades com a « Italianes » [Provenances réelles des carreaux de la Régence turque d’Alger (1518-1830) considérés comme italiens]. Butlleti Informatiu de Ceramicà, 72, 44-51. (en catalan).