Jean Couranjou |
Les carreaux de faïence de la Régence turque d’Alger |
Carreaux d'origines diverses
ou indéterminées
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la précédente version de cette page a été intégralement copiée à mon insu,
et insérée dans un site algérien sous le nom d’un auteur imposteur : AZITITOU
Certains pays, ou plus exactement certaines villes, confectionnant la faïence de revêtement, ont fourni des quantités de carreaux à la Régence d’Alger et pour la plupart, pendant plusieurs siècles (chap. Les carreaux hispaniques de Barcelone, Les carreaux hispaniques de Valence, Les carreaux tunisiens, Les carreaux néerlandais, Les carreaux italiens de Naples).
Cependant on trouve aussi en Algérie de nombreux modèles, souvent en petite quantité, qui ne proviennent pas de ces pays ou de ces villes. L’origine de certains d’entre eux est connue, montrant que d’autres fournisseurs que ceux cités ont participé, très modestement toutefois, à cet apport en faïence. Mais nombreux sont aussi les carreaux dont l’origine reste encore incertaine ou indéterminée.
Jusqu’à une époque encore récente, deux pays de grande production de carreaux me paraissaient absents dans la panoplie de ce que l’on peut observer en Algérie : la Turquie et le Portugal. Ils le sont en effet presque mais j’ai fini par découvrir qu’ils n’étaient pas totalement absents parmi les fournissseurs de l’Algérie turque.
Une cinquantaine de modèles d’origines diverses ou indéterminées ont été répertoriés. Quelques-uns sont présentés ici.
Carreaux turcs d’Iznik (16e siècle)
On pourrait raisonnablement penser que la Régence d’Alger, dépendante de la Porte, renferme de ces précieuses faïences sous glaçure transparente dont Iznik (Nicée) en particulier avait le secret et dont la beauté n’a d’égal que la perfection des techniques mises au point pour leur réalisation. Comme le signale Marçais, il en existe dans certaines mosquées, en particulier à Alger, à Sidi ‘Abd al-Rahmān. N’ayant vu ces carreaux que sur clichés en noir et blanc, je ne peux apporter sur eux de précisions.
Mais dans un lot de carreaux ramenés en France au 19e siècle, se trouvait un fragment correspondant à près de la moitié d’un modèle de 17,5 cm (ci-contre) confectionné à Iznik et dont le motif et les coloris permettent facilement de le dater aux alentours de 1540. Je me permets de formuler une hypothèse sur l’origine de ce carreau, hypothèse qui tient compte de la rareté de cette origine dans la panoplie de la faïence de revêtement en Algérie. A l’époque, Alger et le pays qui en dépend sont une acquisition récente de la Turquie. La Porte a pu par cette offrande de qualité de carreaux de luxe, contribuer à la décoration d’une mosquée. Celle-ci aurait donc été revêtue de ces carreaux vers 1540 et ruinée et démolie au 19e. Selon Marçais, il n’y avait en 1830 qu’une mosquée construite avant 1581. Il ne la nomme pas mais il pourrait s’agir de la mosquée al-Shāwush, selon Shuval contiguë au palais de la Janīna, ancienne résidence du Dey ; elle fut construite en 1520 par Khayreddīn et détruite en 1845 par un incendie. En cette hypothèse, ces carreaux auraient été offerts pour cette mosquée, vingt ans après sa construction.
Quoiqu’il en soit, les riches carreaux provenant de la Turquie ottomane restent rares et n’ont-ils dû orner que quelques mosquées.
Carreaux hispaniques de Tolède à l’arête (15e et 16e siècle)
En dehors des modèles hispaniques provenant de régions ayant abondamment et longtemps fourni la Régence d’Alger, on trouve des carreaux confectionnés selon la technique de l'arista ou cuenca* (« arête » en esp.) : procédé de fabrication de carreaux qui consiste à déposer les différentes teintes dans des compartiments séparés par une arête en relief obtenue précédemment par moulage. On emploie aussi le terme de cuenca (« creux » en esp.) désignant, elle, la partie portant la teinte.(chap. Glossaire). A Alger, ces modèles rares proviennent de Tolède. Les uns (ci-contre à gauche ; 14,5 cm) sont à motifs islamiques géométriques (1475-1500, donc antérieurs à la période turque). Les autres (ci-dessus à droite ; 13,2 et 9,3 cm) leur sont postérieurs (1550-1575).
Carreaux hispaniques de Talavera (17e)
Les modèles provenant de Talavera sont extrêmement rares en Algérie. Celui-ci, deux fers à cheval (ci-contre à droite), en est un de 13 cm.
Carreau portugais (17e)
J’ai fini par découvrir l’existence de carreaux portugais en Algérie où ils sont cependant rarissimes. On pourrait s’en étonner quand on sait qu’à l’époque, le Portugal en confectionnait des quantités. Mais ses propres besoins étaient considérables au point qu’il importait des Pays-Bas. On comprend dès lors son incapacité à exporter.
Chardon (environ 13 cm, probablement 17e siècle) est un modèle dichrome à symétrie diagonale (ci-contre à gauche) qui forme un revêtement dans la Mosquée de la Pêcherie à Alger (al-Jadīd) construite en 1660. Il n’existe probablement que là.
Carreaux d’inspiration hispanique
Différents modèles s’inspirent d’originaux hispaniques en particulier de Barcelone, tandis que d’autres en sont des copies. Dans tous les cas, leur origine, certainement européenne occidentale, n’est pour l’instant pas déterminée.
Parmi les modèles inspirés du motif œillet bleu de Barcelone (chap. Les carreaux hispaniques de Barcelone) ou qui en sont des copies, en voici quelques-uns d’origines entres elles apparemment différentes :
Petit œillet (12,7 cm ; fin 18e ou début 19e, à droite) peu fréquent, présente une parenté plus étroite avec l’original.
Œillet vert ombré d’ocre (13,5 cm ; probablement 18e) est, en vert, jaune et ocre, l’exacte copie de l’original de Barcelone au point qu’il pourrait, spécialement pour Alger, avoir été confectionné dans cette ville, tout à fait au même titre que œillet bleu monochrome (chap. Les carreaux hispaniques de Barcelone) d’autant plus que la brique semble identique à celle des carreaux catalans de l’époque. Ainsi ce serait une autre version catalane de l’original. Mais ce modèle absent en Catalogne n’est actuellement, peut-être à tort, pas considéré comme confectionné à Barcelone par les spécialistes de la région. En Algérie, il n’est pas rare bien que moins courant que œillet bleu monochrome de Barcelone. A Alger, on le trouve notamment à Janān Yahya Aġa (= Djenan Yahya Aga alias maison Peltzer, à Hydra) et à la Villa ‘Abd al-Tif (Abd el-Tif). On trouve aussi ce qui semble sa copie aux formes beaucoup plus anguleuses et probablement confectionnée à Desvres (Pas-de-Calais) dans la deuxième moitié du 19e.
Deux modèles valenciens de grande taille trouvent leur copie en petite taille (12,5 cm). Ces carreaux sont tardifs (fin 18e-début 19e) et il n’est pas exclus qu’ils aient pu même être confectionnés après la Conquête (1830). L’épaisseur de la brique est réduite, le fond est très blanc, la faïence très brillante. Tous deux ont fait l’objet d’une publication (Couranjou, 2003)1.
Bandeau violet à plis (ci-contre à droite) est pratiquement la copie d’une des versions du modèle valencien dont il existe diverses variantes. Ce motif ayant également été produit à Barcelone en 13 cm (chap. Les carreaux hispaniques de Barcelone, Style « petites feuilles ») en deux variantes au moins, on pourrait le considérer comme l’original si la copie ne correspondait assez exactement au valencien. De cette copie, il existe deux variantes principales, toutes deux rencontrées à Alger.
Petite vigne (ci-contre à gauche), très inspiré de vigne (chap. Les carreaux hispaniques de Valence) en diffère par plusieurs aspects. La tige tourne en sens inverse, elle est beaucoup plus raide, les éléments portés sont moins nombreux. Ce modèle apparaît notamment à Alger à la Qasba du Dey et à Constantine au Palais du Bey.
Un grand nombre de modèles d’origines indéterminées autres que ceux d’inspiration hispanique, ont été relevés en particulier à Alger et à Constantine. Les uns sont de 12 à 13 cm, d’autres de 20 cm environ. Nombreux sont ceux parmi eux qui semblent de la fin du 18e et même du début 19e, certains étant peut-être même postérieurs à la Conquête (1830) et si cela était confirmé, ils ne devraient pas être pris en compte dans une étude des carreaux de la Régence turque. Voici quelques-uns de ces nombreux modèles.
Alger recèle des carreaux portant au revers les lettres HS séparées par un point (ci-contre à droite). Ils semblent dater de la fin de la Régence, voire du début de l’époque française. Peut-être sont-ils à cheval sur ces deux périodes autour de 1830.
Grande fleur centrale (ci-contre à gauche) est un modèle à motif élémentaire à quatre axes de symétrie.
Les autres carreaux marqués HS portent un motif figuratif. Ils appartiennent à deux séries très proches (ci-contre à droite) mais on trouve aussi, rarement, des modèles mixtes. Le motif est inscrit dans un cercle polychrome presque identique dans les deux séries ; chacun des quatre angles est occupé par un fleuron.
La série H.S aux fleurons trifoliés (12,7 cm environ) porte des motifs « terrestres », sur sol vert et ocre (ci-dessus gauche et ci-contre à gauche ne présentant que le motif) : monument accompagné d’un arbre, plus rarement animal (oiseau, chiens savants…). Certains monuments sont inspirés de ceux de l’antiquité romaine (arc de triomphe, aqueduc…) ; ce sont aussi châteaux, granges, mosquées de type balkanique... La représentation en est souvent fantaisiste voire irréaliste, de même pour les animaux.
La série H.S aux fleurons en épis (13 cm) porte des motifs « maritimes » ou « lacustres » (ci-dessus à droite et ci-dessous). Généralement y figure un vaisseau là aussi parfois assez fantaisiste. Il semble que cette série soit légèrement plus récente que la précédente.
Grands carreaux (19e)
Le palais du Bey à Constantine renferme un certain nombre de grands carreaux (environ 20 cm) de divers styles dont les modèles sont pour chacun très apparentés entre eux. Ils sont apparemment contemporains de la construction de ce monument (1826-1835) et certains au moins semblent originaires de Sicile.
1. Couranjou J., 2003. Dues rajoles trobades a Alger, còpies d’origen indeterminat de models Hispànics [Existence à Alger de deux carreaux d’origine indéterminée, copies de modèles hispaniques]. Butlleti Informatiu de Ceramicà, 78-79, 4-6. (en catalan).